La mentalité révolutionnaire. Société et mentalités sous la Révolution Française - Michel VOVELLE
Allez, je livre ici une revue de lecture d'un livre déjà quelque peu daté mais pionnier sur la Révolution Française, parce qu'il s'intéresse à la perception et à la réception de cet événement, comment il a été vécu, subi, accepté, refusé... Il montre bien que tout mouvement social, aussi révolutionnaire fut-il, n'est pas univoque. Quelle part prennent conservation, évolution, révolution ? Comment l'idéologie dominante manoeuvre et avec quelle efficacité ? Tout le monde en 89 ne prend pas son destin en mains... mais la société française n'en est pas moins bouleversée...
Michel Vovelle
est un historien français spécialiste du XVIIIè siècle. Il est né en 1933, et
obtient son agrégation d’histoire en 1956. A partir de 1976, il enseigne l’histoire
moderne à l’Université d’Aix en Provence, puis, à partir de 1984, il est
titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution
Nous retrouvons ces grandes lignes dans son ouvrage publié en 1985 : La mentalité révolutionnaire. En 1985, l’histoire des mentalités est une nouveauté historiographique. Cela ne fait en effet qu’une vingtaine d’années que les historiens s’y intéressent vraiment. Par certains côtés toutefois, des prémisses se font remarquer, dès l’histoire romantique de Michelet par exemple. En réalité, c’est peut-être une histoire conservatrice productive de mythes et justifiant des manipulations qui a détourné les historiens de cette approche par les mentalités. L’objet de cet ouvrage, nous le devinons fort bien, sera alors de se réapproprier une approche de la Révolution par les mentalités qui doit permettre d’en expliquer à la fois changements brutaux, qu’ils soient provoqués, acceptés, subis ou refusés, et les héritages et résistances que l’on peut remarquer. Bien sûr, une nouvelle orientation scientifique comme celle-ci ne peut qu’exiger de s’attaquer à de nouvelles problématiques, de nouvelles sources d’investigation. Si bien que cet ouvrage ne se révèlera être qu’un travail de défrichage, posant les bases de travaux à mener ultérieurement. Michel Vovelle est ici porteur de l’ambition « [d’]ouvrir la voie ».
Cet ouvrage
s’articule alors en six grandes parties pour une réflexion en trois
temps : les origines et le fait révolutionnaires, les acteurs de la Révolution, la Révolution
C’est donc
fort logiquement que Michel Vovelle s’attache d’abord à étudier les prémisses
de la Révolution. Il montre tout d’abord la
Révolution
Pas vraiment un héritage donc, mais le rôle d’une mentalité pré-révolutionnaire apparaît indiscutable. En effet, c’est donc dans le second XVIIIè que l’on constate un décollage culturel d’une part, mais aussi des évolutions d’attitudes collectives d’autre part. La famille est repensée, rétrécie, l’enfant y occupe une place plus grande et L’Emile marque un point d’orgue de cette évolution. Les femmes effectuent un certain rattrapage également. Le rapport à la mort se désocialise de manière importante. En filigrane apparaît donc une certaine déchristianisation d’après Michel Vovelle. L’inquiétude, la méchanceté, ces notions se développent aussi dans le second XVIIIè. Manifestement, une sensibilité nouvelle, avec ses affectivités, inquiétudes et tensions, apparaît avant la Révolution, et ce alors que les Lumières ont une diffusion limitée.
Les
origines établies, il s’agit désormais de montrer que la Révolution va
s’inscrire en rupture avec elles, c’est justement le fait révolutionnaire basé
sur les rapports ambivalents entre peur et espérance. La peur tout d’abord est
un élément central de la sensibilité révolutionnaire, même si ce n’est
évidemment pas une idée neuve. Par exemple, la Grande Peur
La peur se manifeste par les foules révolutionnaires qu’il faut distinguer en foules parisiennes et foules provinciales. A Paris, le recrutement est populaire, jeune et les femmes participent, les anciennes émotions de la misère sont essentielles. La spontanéité est caractéristique, avant d’observer une organisation et une maturation progressive de foules qui vont démontrer leur force, sans forcément de volonté insurrectionnelle. Il ne s’agit pas des mêmes foules, à partir de 1791 que de celles de 1789. En province, les notables sont plus présents, la misère et les revendications paysannes sont plus prises en compte, la violence semble plus fréquente. Clairement, la misère n’explique pas tout. L’automne 92 est le point culminant des foules : frustration par la suite ? contentement au contraire ? départ des jacobins militants aux frontières ?
La violence
est donc ultra présente, qu’elle soit subversive ou répressive. Marat la
théorise pour sauver la Révolution. En 93, on passe de la violence à la
Terreur
C’est donc ici que la peur rejoint l’espérance. Le peuple, l’égalité, le bonheur sont des idées nouvelles. L’idée de peuple évolue de l’unanimisme à un élargissement (citoyen passif à citoyen tout court) et un rétrécissement (citoyen à sans-culotte engagé). Le tournant est Thermidor puis le Directoire où on fait appel au peuple contre les sans-culottes. Mais ce retour n’est qu’illusion et « rien ne sera jamais plus comme avant ». De l’image du sans-culotte peut se dégager l’impression surprenante d’une révolution des pères de famille. En tout cas, ce groupe est socialement composite et il semble donc qu’un syncrétisme éphémère entre les Lumières et un mouvement populaire se soit opéré.
Du militant, Michel Vovelle s’intéresse ensuite à l’héroïsation. Les héros sont détruits… pour en faire apparaître de nouveaux types : héros collectifs anonymes, héros populaires, héros fondateurs. En revanche ; le césarisme est violemment rejeté malgré un culte de la personnalité pour l’Incorruptible. Thermidor sera la rupture, celle où les Lumières et le peuple vont se séparer et une méfiance à l’égard du grand homme dictateur s’instituer. Cet esprit ne durera pas longtemps… héros militaires, les jacobins clandestins héroïseront Caïus Gracchus.
La Révolution arrive-t-elle à une cité idéale ? Y a-t-il déjà de nouvelles sociabilités ?
Déjà les confréries étaient sur le déclin, de nouveaux lieux de rencontres
laïcisés s’instituaient. Le club des Jacobins et son immense réseau de
correspondances est essentiel. Modéré au départ, il va glisser à gauche, puis
jouer un rôle dans la victoire de la Montagne
Quelle place
pour la fête ? Primordiale dans les sociabilités, et l’influence de
Rousseau se fait sentir : on veut la fête partout et nulle part. La Fête de la Fédération
Une nouvelle religion s’installe-t-elle ? Il semblerait en l’an II, et le Directoire va poursuivre. D’ailleurs, la révolte face à la déchristianisation est violente, montrant que le mouvement avait été reçu. Des images maternelles s’imposent, les cultes des martyrs de la liberté ont été reçus, un transfert de sacralité s’opère donc, la Révolution est une « bonne nouvelle ». Certes il n’y a pas la connotation millénariste des niveleurs ou diggeurs mais un mouvement irréversible vers une religion civique s’installe.
Mais la Révolution est autant
agie que subie. Au quotidien, c’est surtout la vie chère. On subi aussi
beaucoup le changement de temps et d’espace, même si le calendrier
révolutionnaire n’a jamais vraiment été reçu. Finalement, pour ceux qui
n’agissent pas sous la
Révolution
La Révolution
produit sa société rêvée. L’amour évolue, on s’interroge sur le statut de la
femme, on passe de l’amour de soi à l’amour des autres. Oui mais cela
n’abouti pas et le renouvellement de l’héritage chrétien n’est pas complet.
Peut-on dire pour autant que le monde n’a pas changé ? Certainement pas. En
particulier, la sensibilité de la mort évolue. La Terreur joue un rôle
puisque la mort devient un moyen de Salut de la Patrie. La
Mais la Révolution n’est pas
que subie, elle est aussi parfois refusée. Même, elle peut apparaître comme
phénomène minoritaire. Certes l’engagement sera croissant avant de diminuer.
Les contrastes sociaux et géographiques de réception de la Révolution
Si la méthode employée par Michel Vovelle semble très intéressante, les résultats, bien que très encourageants, nous laissent sur notre faim, comme d’ailleurs Michel Vovelle l’avait prédit puisque ce travail est en quelque sorte pionnier. Il est aussi prisonnier, semble-t-il, d’une connaissance moins grande de la deuxième révolution, après la chute de Robespierre. En effet, les informations sur la Convention Thermidorienne et le Directoire sont très peu nombreuses en comparaison de ce que nous offre cet ouvrage sur la période allant de 1789 à Thermidor. Une voie donc à explorer, puisque loin de tomber dans des travers qui traiteraient une Révolution par ses « héros » ou au contraire par des déterminismes sociaux-économiques uniquement. Des allers-retours ou plutôt une approche problématique synthétique des conceptions « par le haut » et « par le bas » me paraissent très pertinents, et c’est ce à quoi s’est adonné Michel Vovelle.