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Pas d'équerre
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  • "A l'analyse ils sortiraient que je suis pas d'équerre. Jamais d'escale jamais de contact avec l'ordinaire. Perdus la boussole, le compas : erreur volontaire. Frôl'éphémère" - Volontaire, chantée par Noir Désir et Alain Bashung
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Pas d'équerre
21 mars 2008

Histoire du système éducatif

Troger, Ruano-Borbalan, Histoire du système éducatif, Que Sais-je? n°3729, PUF, 2005

 

Quels processus ont abouti au quasi-monopole éducatif de l'école, pourtant en état de crise permanent ?



I/ Ecole et pouvoirs : de l'Église à l'État

 

L'augmentation des activités commerciales et administratives entraîne l'apparition d'écoles contrôlées par les hiérarchies cléricales ou politiques. Novation au IVe avant JC à Athènes : la maîtrise du discours. L'organisation est reprise par les Romains dont les innovations montrent le lien école - système politico-religieux (réglementation plus précise, enseignement supérieur du droit, transmission des valeurs). A la chute de l'Empire, le réseau scolaire disparaît : seule l'Église peut en entretenir des vestiges (trivium + quadrivium = programme de référence jusqu'au XVe). Charlemagne dynamise le réseau (mais les moyens sont faibles) d'écoles monastiques. L'essor démographique et économique au XIe multiplie les petites écoles. Paris, Toulouse, Montpellier sont les premières universités françaises au XIIIe.

        La Papauté tente de les contrôler (formation clercs, réflexion théologique), la Monarchie aussi (juristes, prestige) => statut ecclésiastique, privilèges fiscaux et juridiques. C'est le début des cursus de longue durée (baccalauréat, licencia docendi). 5 à 10 000 étudiants à la Sorbonne fin XIIIe.

        L'imprimerie, la Réforme et la Contre-Réforme accélèrent le mouvement et provoquent la naissance de l'école moderne en parallèle avec la montée en puissance de l'État. La Révolution a autant détruit que construit. Bonaparte s'inspire des collèges jésuites pour les lycées créés (l'élite administrative). Avec la IIIe République, l'enjeu est l'enseignement primaire. Guizot avait fait un compromis pédagogie catholique "simultanée" (toujours en vigueur) / administration de l'État, sur lequel reviennent les conservateurs (loi Falloux 1850) suscitant la virulence en retour de la République de 1879 à 1882. Le système semble inégalitaire : lycées et collèges amènent au bac; le primaire supérieur et le technique non. En 1937, Jean Zay n'arrive pas à unifier,la IVe non plus, ce sera l'œuvre de la Ve (loi Debré 1959, loi Berthoin 1959, Haby 1975). L'école, institution de masse, est plus en tension que jamais.

 

II/ La construction des savoirs scolaires

 

        Contrôle du pouvoir, travail des enseignants, contexte matériel, modes d'évaluation fixent les savoirs scolaires. La culture générale domine dans l'Antiquité. L'écrit prend une place plus importante dans les universités médiévales (et leurs intellectuels, cf. le Goff). Avec la Contre-réforme, la préoccupation est à la moralisation, au moyen des auteurs latins, quitte à les expurger des passages violents ou érotiques. Cela fait débat mais persiste jusqu'à Napoléon qui vante les vertus chrétiennes et patriotiques. Cela se montre même dans les petites écoles (civilisation des moeurs) et même avec la laïcisation républicaine. Toutefois, au XIXe, si on reprend les principes des écoles des Frères, on introduit l'orthographe et les poids et mesures (identité nationale, rationalité), que les instituteurs s'approprient, jusqu'à aujourd'hui. Longtemps, les savoirs scientifiques n'ont eu que peu de place.

        La IIIe République essaye d'y remédier, notamment en 1902 par une réforme des lycées (bac A, B, C, D). De Gaulle veut moderniser, affirmer la puissance militaire et industrielle et donc privilégier les sciences. Les mathématiques opèrent alors au début des 60's un coup d'Etat, remplaçant le latin comme discipline d'excellence scolaire. Pour autant, il y a toujours débat ! L'évolution des savoirs universitaires (linguistique, sociologie et économie, écologie, ...) se répercute. Les évolutions des 20 dernières années montre que de plus en plus, l'élaboration des savoirs scolaires dépend de facteurs internes au système éducatif : les disciplines dominantes ont plus d'heures de cours, donc de profs, d'inspecteurs, de représentation syndicale ...

 

III/ Evolution des pratiques éducatives et controverses pédagogiques

 

        Jusqu'au milieu du XXe, les pratiques pédagogiques étaient autoritaires. La pédagogie grecque est une sorte de longue ascèse respectueuse des prédécesseurs. Plus utilitaristes, les Romains s'en inspirent quand même largement. C'est l'idéal de "l'honnête homme" qui reste la norme jusqu'à la Renaissance : dressage ignorant la personnalité de l'enfant. "L'âge de raison" est fixé par l'Eglise, à la suite des Grecs, à 7 ans : rien ne sert d'éduquer avant, si ce n'est les civilités de base. Longtemps la petite enfance reste donc peu considérée. Plus âgé, l'enfant est proche de l'adulte et de ses activités (autorité). Après la Révolution, scolarisation et conscription éliminent les espaces d'autonomie qu'avaient les jeunes tout en conservant les pédagogies autoritaires et répressives. La jeunesse est en effet sous contrôle. Les différences sexuelles s'accroissent à ce moment-là. Mais des contre-cultures pédagogiques émergent avec Comenius et surtout Rousseau (1762) : "commencez donc par mieux étudier vos élèves". Il considère l'enfant comme un individu à part entière, non un adulte inachevé. Pestalozzi, Fröbel (jeu dans les Kindergarten), Decroly (méthode globale), Montessori (jeu), Dewey (méthodes actives), Neill (école autogérée de Summerhill) le suivent. En France, il faut attendre le pacifisme et l'anti-fascisme post WWI pour voir ces idées à l'oeuvre : GFEN (1922), CEMEA (1936) et Freinet dans les années 20 qui rencontre l'hostilité de notables et d'Inspecteurs de l'EN, et fonde alors une école privée. Ces idées, après la WWII, vont recevoir l'appui de la psychologie (Claparède, Piaget, ...) puis de la psychanalyse et de la linguistique. Mais si les psys réussissent, les pédagogues échouent malgré les réformes de 1969 sur lesquelles on revient dès 1975 et définitivement en 1985.

 

IV/ L'école entre autonomie et centralisation

 

        Malgré la domination politique ou religieuse dès l'origine, ce n'est qu'avec Napoléon Ier qu'apparaît en France une administration scolaire centralisée. L'organisation gréco-latine reste valide jusqu'au XIXe. L'autorité politique ou religieuse incite et réglemente, mais la création, le financement et le contrôle relèvent d'initiatives locales (autorité ecclésiastiques, représentant communauté villageoise ou urbaine, donateur privé). Napoléon instaure le monopole de l'Etat (secondaire et supérieur) le 17 mars 1808 et crée une administration autonome et pyramidale qui permet au corps enseignant d'y faire carrière (Thibaudet, La République des professeurs). Taine moque ce centralisme / standardisation. Mais le système est efficace. En revanche, il est rétif aux réformes qui se doivent de venir d'en haut, donc toujours abandonnées. L'école primaire vient se greffer par la suite (loi Guizot 1833). En 1886, les instituteurs sont fonctionnaires et échappent à la tutelle locale dont ils dépendant pourtant toujours (recrutement départemental).

Après 1960, la gestion bureaucratique et centralisée s'accentue encore (mutations démographique, sociale et politique) : architecture, carte scolaire (1959 pour réduire les inégalités géographiques d'équipements scolaires, puis secteurs d'inscription), mode de gestion des enseignants, organisation des examens et concours. La difficulté est de s'adapter à la société quand la gestion est si lourde ! Ex : l'école maternelle a crû d'elle-même (travail féminin, exode rural, intérêt des classes moyennes) vers 1950-60, sans décision politique (Prost parle de "non-décision gouvernementale"). Il a fallu décentraliser et déconcentrer mais le bilan en est confus : difficultés à établir les priorités (diversité des demandes sociales), impuissance à imposer des décisions à l'administration, incapacité à établir un dialogue constructif avec les enseignants (Agnès Van Zanten). Inéluctable, ce mouvement risque d'aggraver l'impuissance de l'Etat à réguler efficacement.



V/ Former au travail : des corporations à l'enseignement technique

 

        Préjugé latin contre l'enseignement pratique (Victor Duruy 1863) ? Sans doute car l'Antiquité dresse l'homme contre le technicien : Platon contre le "monde sensible", la culture libère, rôle social et politique de l'éducation donnant primauté au discours. Le Moyen-âge chrétien en est l'héritier. La transmission des métiers se fait de façon protectionniste, malthusienne : tradition du secret, longues et difficiles formations, sélectivité. Ces fonctions sont celles des corporations, qui limitent la formation professionnelle jusqu'à la RI. C'est alors, dès le XVIIIe, que le système est dénoncé par les tenants du libre-échange (embryon de scolarisation, loi le Chapelier 1791) à un moment où la formation devient un enjeu important et mal appréhendé ("crise de l'apprentissage"). L'Etat intervient (Polytechnique 1794, Arts et Métiers 1803...) mais plus nombreuses sont les initiatives privées (Boulle, La Martinière...) qui permettent de faire face aux besoins croissants. Mais : qui paye la formation ? Et n'enferme-t-elle pas les ouvriers dans les besoins des patrons (Buisson) ? Après 1879, les Républicains s'emparent de ces questions (puissance nationale). L'enseignement technique se développe, un diplôme est créé en 1911 (devient CAP en 1919). Mais l'efficacité reste limitée, suivant la bonne volonté des entrepreneurs. le Front Populaire puis Vichy vont mieux réguler l'apprentissage, héritage qui va fructifier dans l'après-guerre : l'Etat intervient beaucoup (keynésianisme, influence du PC). Les enseignements professionnels ont leur légitimité scolaire et 1/3 des lycéens actuels. Mais ne sont-ils pas les "exclus de l'intérieur" (Bourdieu) ? Persistance des hiérarchies des savoirs de l'Antiquité + effets pervers de la massification de la scolarisation (plus de rôle méritocratique). Le jeu de main chaude entre Etat et patrons se continue pour le financement...

 

VI/ Ecole et inégalités

 

        Jusqu'à la Renaissance, l'inégalité est vue comme l'ordre des choses, naturel ou divin. On la retrouve donc devant l'accès à l'instruction. J. le Goff estime cependant qu'une réelle ascension sociale est possible pour un certain nombre de fils de paysans à l'université. Aux XVIe-XVIIe a lieu une première extension de scolarisation qui progresse incontestablement mais demeurent les inégalités. 3 projets révolutionnaires traitent de l'éducation : Talleyrand, libéral (instruction primaire gratuite car commune à tous, secondaire payante car on tire des bénéfices à y assister), Condorcet, progressiste (reculer les limites de l'instruction) et Le Peletier, prudent, veut limiter l'accès au secondaire. Ils sont timides (Condorcet et Talleyrand moins que Le Peletier) sur les inégalités sexuelles, par prudence en regard de la pensée dominante exprimée par Mirabeau (la femme ne doit pas quitter la maison paternelle). Bonaparte consacre le monopole de l'Etat ; le XIXe voit la persistance des discriminations. La latin sert à classer explique Françoise Wacquet. Lycées et collèges sont l'apanage des élites, l'enseignement primaire supérieur et technique sont le secondaire du peuple, dont l'instruction progresse : c'est là le creuset de la méritocratie républicaine. Mais... consécration d'une discrimination (école à 2 vitesses). Buisson s'en indigne, il sera suivi après la WWI et surtout après la WWII (commission Langevin-Wallon 1947 prônant l'unification du premier cycle secondaire et la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans). De 1959 à 1975, des mesures vont dans ce sens. Institutionnellement, la critique de Buisson n'est plus fondée, mais l'égalité des chances fait plus que jamais débat. Les enfants de milieux populaires échouent plus, en effet. Rôle du capital culturel ? de la disparité pédagogique et des méthodes d'autonomie ? Insuffisance de la concertation entre enseignants ? Le bilan n'est pourtant pas seulement négatif : les filles réussissent désormais mieux que les garçons, et il y a 7 fois plus d'étudiants dans le supérieur qu'en 1960... le niveau général a significativement augmenté !! Mais le marché du travail est difficile, l'échec scolaire synonyme d'exclusion sociale, l'école a le monopole d'éducation et de formation (Eglise, mouvements laïques, PC, syndicats n'ont plus ce rôle)... tout cela met l'accent sur la demande massive de réussite socioprofessionnelle. Vers l'égalité de résultats ? Grand défi !!

 

 

VII/ Les innovations techniques à l'école

 

        Jusqu'au XVe, presque pas d'évolutions techniques à l'école. C'est l'imprimerie à partir de 1450 qui bouleverse en premier : plus de lecture et d'écriture. Notons quand même l'évolution du rouleau de papyrus au livre relié (codex) et du papyrus au parchemin (IVe, généralisé au VIIIe) puis au papier (XIIIe). Avec l'imprimerie donc, plus de lectures individuelles et donc de craintes morales, donc de censures et contrôles des enseignants. Au XIXe, l'école devient un marché pour innovations (plumes, manuels, ardoises, cahiers ...) Cela s'accélère après la WWII (le baron Bic auquel résistent plus de 20 ans les enseignants). La polycopie (expérimentée par Freinet) connaît un vrai succès vers 1960, la photocopie 15 ans plus tard. Dernier exemple : la calculatrice. C'est en revanche au moins un semi-échec pour la télévision scolaire puis l'informatique. En fait les innovations facilitant le travail magistral traditionnel sont acceptées, celles qui le mettent en cause sont plutôt rejetées. L'enseignant se vit comme détenteur unique de l'autorité et du savoir face à sa classe ! L'e-learning connaîtra-t-il plus de succès ?

 

Conclusion

 

        Les valeurs philosophico-pédagogiques de l'éducation se comprennent sur la très longue durée. Une révolution scolaire a eu lieu au XVIe et les formes actuelles en sont les héritières : collèges, petites écoles pour pauvres, élèves par classes, examens de passage, hiérarchie et sanctions doivent motiver les élèves... La tradition pédagogique occidentale remonte à la Grèce classique : Socrate et le dialogue interrogateur, Platon et la primauté rationnelle (partir du monde matériel et s'élever au monde des idées) => la pédagogie est centrée sur des connaissances théoriques. Les contenus de l'enseignement sont issus d'une longue histoire mais les institutions ont connues plus de variations liées aux évolutions sociale, politique et économique. Le système scolaire est organisé selon 3 axes :

1/ conception de la connaissance dérivée des savoirs rationnels

2/ organisation et culture spécifiques, conditionnées par la forme scolaire

3/ socialisation par intériorisation des normes sociales, de la compétition et de la sélection

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Commentaires
J
Tiens Comenius...<br /> <br /> Il est bon d'approfondir nos connaissances sur ce personnage. J'ai appris lors d'une conférence à son sujet qu'il avait quasiment donné les grandes lignes des deux courants pédagogiques extrêmes que l'on peut observer encore aujourd'hui en Europe.<br /> <br /> D'un côté, un encadrement très "familial" de l'enfant qui reste en dehors de groupes d'enfants jusqu'à un age avancé (7 ans, comme dans certains pays scandinaves je crois).<br /> <br /> De l'autre côté, l'introduction précoce de l'enfant dans un groupe social comme l'école maternelle en France par exemple, voir les crèches dès les premiers mois de la vie.<br /> <br /> Ce qui est curieux, c'est que l'oeuvre majeure de Comenius consista à donner ces deux grandes directions sans donner de préférence sur l'une ou l'autre...
J
je l'ai lu mais je m'en souviens très mal. Ton résumé est parfait :D
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